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Active depuis 1983, cette agence de presse, dirigée par Christophe De Ponfilly et Frédéric Laffont, tous deux Prix Albert Londres, n'en finit pas d'étonner par la qualité de ses films et la rigueur de sa démarche. Son indépendance au parfum de dissidence lui vaut d'occuper une place particulière dans le monde de la Télévision.

Interview de Christophe De Ponfilly
Le 28/04/2003

Photo : Majid.

Majid - Qu'est-ce qui a changé pour vous depuis le 11 septembre 2001 et l'intervention américaine en Afghanistan ? Je m'intéresse notamment aux travers de l'aide humanitaire, des politiques et journalistes...

Christophe De Ponfilly - on s'applique à reconstruire l'Afghanistan. C'est vrai qu'il y a des erreurs énormes. Il y a d'abord des promesses d'argent qui devraient être tenues, mais qui ne sont pas tenues. Tout ça parce qu'il n'y a pas les structures pour les recevoir et les gérer. Comme un serpent qui se mort la queue. Il n'y a pas les hommes pour gérer la répartition de l'argent.

Quand on voit que la plupart de ces sommes d'argent sert à payer les experts occidentaux - que vous avez 250, même plus, ONG qui sont à Kaboul - qu'il y a une inflation délirante à Kaboul, que par exemple trouver une maison à Kaboul, c'est aussi difficile, aussi cher que de trouver une maison dans le 7ème arrondissement à Paris ! Il y a des embouteillages de 4x4 dans Kaboul, de 4x4 d'ONG !

Il y a un moment où moi, Merabuddin Masstan me dit "mais nous, lorsqu'au ministère des Affaires Étrangères on veut embaucher quelqu'un, une secrétaire par exemple, on va lui donner 50 dollars par mois, alors que l'ONG voisine elle va lui donner 200 ! Elle va forcément à l'ONG voisine". Alors comment on reconstruit l'Etat afghan et l'appareil d'Etat ! Et il y a beaucoup de choses qui fonctionnent très très mal comme cela. En plus, moi, il y a des choses qui me choquent. C'est qu'ici, le monde industriel commence à être catastrophé par la position française par rapport aux Etats-Unis et à l'Irak (ce que je trouve un peu gros d'ailleurs). Ils n'ont qu'à assumer ! Et puis s'ils veulent bosser et investir dans des pays où il y a tout à faire, l'Afghanistan, c'en est un. Donc évidemment, il y a des risques... et oui, mais le monde d'aujourd'hui, si on ne prend pas des risques, on ne fait pas grand chose !

Majid - Depuis la mort de Massoud, qu'avez vous réalisé, chronologiquement depuis 2 ans ?

Christophe De Ponfilly - Comme action ? D'abord, j'ai témoigné. C'est à dire que j'ai dépassé la tristesse et la colère. Parce que j'ai eu après la tristesse, une colère qui s'est ravivée. Dans la mesure où mon film "Massoud l'Afghan" et le livre que j'avais écrit, qui était sortit en 1998 (assez confidentiellement, à cette époque), le livre est devenu un best seller (comme on dit), après septembre 2001. Et ça m'a vraiment choqué encore plus. C'est à dire que ce livre et ce film étaient fait pour attirer l'attention occidentale, sur Massoud et qu'on aide cet homme. Cela faisait des années qu'on aurait dû aider cet homme. Les américains aidaient Gulbuldin Hekmatyar et ensuite d'une manière indirecte les taliban. C'était la folie totale.

Donc, moi j'avais essayé ainsi que plusieurs amis : on a été quand même près d'un millier de français à aller en Afghanistan, dès les années 80. Je l'ai raconté d'ailleurs dans un livre qui s'appelle "Vies clandestines" et le film.

On était sidéré. Les groupes islamistes qui venaient s'entraîner, bien éloignés de l'Islam pratiqué par Massoud (respectueux et pacifique) des Algériens, des Soudanais, des Saoudiens... qui venaient faire la guérilla, des types qu'on a retrouvé en Bosnie... on le signalait. Mais ce n'était pas pris en compte. Et c'était extrêmement choquant. Et il a fallu qu'il y ait ces événements, non pas l'événement du 9 septembre d'ailleurs. Parce que je pense que l'assassinat de Massoud aurait été assez rapidement effacé, s'il n'y avait pas eu les attentats contre les Etats-Unis. Les attentats contre les Etats-Unis, avec d'une part le côté très spectaculaire de ces attentats, et puis qui a touché au coeur des Etats-Unis, et puis le relais médiatique délirant. C'est à dire que, je me trouvais aux Etats-Unis au moment où il y a eu les attentats. J'étais sidéré. Quand toutes les chaînes américaines se sont mises à diffuser les images (après elles ont été diffusées dans le monde, elles étaient reprises partout) mais aussi au bout d'1/4 d'heure, on nous montrait le coupable. C'était Ben Laden. Et au bout d'1/2 heure, l'amalgame terroriste = afghan, afghan = terroriste était fait. Donc c'était vraiment très très inquiétant.

La première chose que j'avais faite en rentrant dans l'avion - d'ailleurs on n'était pas nombreux dans l'avion (j'ai pris un des premiers avions pour rentrer en France). C'était l'état de guerre aux Etats-Unis. Ils avaient bloqué tous les aéroports, les routes menant aux aéroports. C'était vraiment l'immense inquiétude. Ils étaient un peu paumés. La responsabilité de leurs services est énorme. Et j'ai écrit une lettre ouverte aux américains. C'est un texte que Le Monde n'a pas voulu et le Figaro l'a mis en pleine couverture. Et là ça a mis un certain temps à être publié.

Majid - Justement sur mon site, le discours de Massoud est adressé aux Etats-Unis et je trouve qu'il emploie un discours très diplomate. Et je trouve cela impressionnant.

Christophe De Ponfilly - Massoud était précis. Mais il avait fait une erreur énorme de croire qu'il devait régler le problème afghan en Afghanistan. Et il ne regardait pas le monde étranger.

Majid - Ce sont les français qui lui ont donné l'idée de venir en Europe ?

Christophe De Ponfilly - Oui, on lui répétait à chaque fois. Donc, j'ai fait cette première lettre ouverte. Après, la chaîne Histoire m'a proposé de rediffuser tous les films que j'avais fait sur l'Afghanistan. On a remis en oeuvre les 12 films qui ont été diffusés plusieurs fois. Et puis surtout, ils m'ont donné l'occasion de faire quelque chose qui m'a vraiment plu : de prendre dans mes rush, le matériel brut de tournage. Et j'ai fait un film de 5 fois 1 heure, de séquences brutes comme ça, non montées, de moments avec Massoud. Ca s'appelle "A la mémoire de Massoud".

Majid - C'est un document qui me touche, parce que par rapport à lecture de "Massoud l'Afghan", ce que j'en ai vraiment tiré, c'est que vous vouliez montrer Massoud l'"homme de paix". Je me suis dis que peut-être dans les rush vous l'aviez ?

Christophe De Ponfilly - Ah oui, on le voit beaucoup, bien sûr.

Majid - J'ai essayé de traduire ça sur le site en hommage à Massoud. En fait, j'ai travaillé beaucoup par rapport à cette idée là, de chercher à montrer quelqu'un qui n'était pas seulement un homme qui faisait la guerre...

Christophe De Ponfilly - C'était une erreur de la part des gens de voir ça.

Majid - C'était un poète. Et c'est ce que j'ai demandé à Qassim Azimi [intime de Massoud] quand je l'ai interviewé. C'est sur la page "Témoignages". J'ai ainsi demandé à Qassim "toi qui as vécu avec lui pendant son enfance et pendant la guerre, parle moi de Massoud le poète, l'homme de foi..." Par rapport à ma sensibilité, c'est ce que je recherchais. Et donc dans votre film "Massoud l'Afghan", vous dites que vous n'avez pas réussi à filmer Massoud l'"homme de paix", que vous l'avez filmé faisant la guerre. Où en êtes vous par rapport à cela ?

Christophe De Ponfilly - Là, vous verrez, il y a beaucoup de scènes. Donc on a pu faire ça. Ensuite j'ai écrit ce livre "Lettre ouverte à Joseph Kessel sur l’Afghanistan". Mais ça n'a pas été relayé médiatiquement. Le livre est devenu un bide. J'espère qu'on va aussi en sortir en livre de poche. Pourtant l'éditeur, Daniel Radford (éditeur juif d'ailleurs) rue des Rosiers, a été emballé par Massoud. Il l'a vraiment mis en place. On en a tiré 8000 exemplaires. On va peut-être en vendre 8500 à mon avis.

Ensuite j'ai fait un autre travail. On a ressorti le film "Massoud l'Afghan" en 35 millimètres dans les salles. Hélas, on est tombé sur un distributeur qui n'y croyait pas, à Océan, qui nous a foutu en l'air la sortie. C'est à dire qu'on est resté avec 4 copies, alors que pour faire une sortie, il en faut une cinquantaine. Et en plus, il y avait une demande. Il y a eu 30 000 personnes qui l'ont vu quand même, autour de ces 4 copies ! Nous ça nous a coûté de l'argent. Il nous a escroqués. On n'a pas vu un centime. On a payé 150 000 francs avec le déstockage. C'est énorme, 20 000 euros qui sont partis !

Maintenant, j'aimerai beaucoup sortir "Vies clandestines" au cinéma. Parce que je trouve qu'il est porteur de quelque chose de précieux. C'est un film qui donne de l'énergie et des idées d'agir. Je pense qu'il montre que chacun détient dans ses mains les moyens d'agir.

Majid - Dès la première page de "Vies clandestines" vous écrivez "ces gens qui osent".

Christophe De Ponfilly - Oui, c'est ça. Il y a des tas de gens qui sont surtout pris dans la vie professionnelle, de société, dans un système hiérarchique... et ils ont l'impression que l'aventure, c'est réservé aux autres. L'aventure, c'est à dire prendre des risques, faire quelque chose qui n'a pas encore été fait, chacun peut le faire.

Majid - Vous avez écrit que vous aviez démarré sur le tas.

Christophe De Ponfilly - Ah oui. Je n'ai pas fait d'école de journalisme. J'étais avec Jérome Bony. On a été en Afghanistan, avec une caméra super 8, de l'argent emprunté. Et puis après j'ai rencontré Frédéric Laffont qui est devenu un ami, et puis mon associé ici à Interscoop. Du fait qu'on a crée cette structure. C'est vraiment notre outil. Et ça, c'est très très précieux. On a deux salles de montage. On a du matériel de tournage, et on est resté dissidents de la télé. C'est à dire qu'on la conteste. On conteste des programmateurs débiles qui mettent des émissions généralement de qualité à des heures où le public ne peut pas les regarder. Mais on a un outil très efficace. On a réussi, grâce à notre association, à la chance, au travail... à garder notre indépendance et avoir un outil performant.

Majid - Justement dans "Vies clandestines", on voit bien la différence entre ce que vous faites et les médias. Et ce qui est impressionnant de voir, c'est que vous arrivez quand même dans ces médias là, à faire passer le discours, sur Arte, à France 2...

Christophe De Ponfilly - Avec Jérome Bony, on a fait un truc qui m'a vraiment plu, en janvier 2002. Yves Janot, le patron des documentaires, nous a permis de faire une émission de 2 heures, en direct, sur l'Afghanistan. On a travaillé à la préparer. Et donc, c'est idiot de l'avoir mis à 23 heures, surtout qu'ils ont eu une audience énorme, et puis un retour énorme ; énormément de réactions de gens qui disaient "enfin un regard constructif sur la télé, la façon de témoigner..." Et ça, c'était passionnant.

Majid - Il y a eu un fort écho de votre émission. Chez les gens de mon entourage, c'est de vous voir en face l'un de l'autre qui a beaucoup plu. Parfois vos points de vue se confrontaient aux images.

Christophe De Ponfilly - On est respectueux du travail de l'un et de l'autre. On avait besoin d'une demi heure de plus pour vraiment se confronter sur certains points. On n'est pas d'accord sur le journal télévisé. Moi je pense que c'est obligatoirement truffé d'erreurs. Je ne suis pas non plus pour qu'on supprime le journal télé. Je crois que c'est très important d'avoir des témoins sur place. On est d'accord. Mais le démentis, l'honnêteté journalistique, ce qui se passe, bien sûr, est très vulnérable et incomplet.

Moi, je suis très respectueux des gens qui font ce métier. Parce que d'abord ils font un métier hyper difficile. Ils prennent beaucoup de risque. Et souvent on ne le dit pas assez. Maintenant, des erreurs, je trouve que c'est tout à fait normal. Et c'est là où le documentaire doit être joint aux informations du journal télévisé. C'est ce qu'il fait d'ailleurs.

Sur la guerre en Irak, les gens qui voulaient avoir plus sur l'Irak, sur ce qui était en train de se tramer, sur Arte, ils avaient tous les documents. Le problème c'est que vous avez des journaux et puis des documentaires. C'est dommage. Il faudrait les accoler. Voilà, c'est le reproche que je fais aux programmateurs.

Il y a eu beaucoup d'incompétents comme directeurs de chaîne, des types comme Elkabach. C'est une calamité. Ce ne sont que des gens qui recherchent le pouvoir. Ils n'ont pas d'humanité. Ils font semblant d'être des démocrates alors que ce sont des vrais tyrans, quand ils sont à la direction d'une chaîne. Elkabach nous avait supprimé l'émission qu'on avait, qui s'appelait Zanzi Bar, une collection documentaire qui était la plus primée du service public. On était attentifs à filmer les être humains. Il a eu envie de la supprimer. Pourquoi ? Parce qu'on gueulait pour l'horaire de diffusion ? Il payait d'une manière délirante quelques animateurs.

Donc ce type là, il s'est retrouvé à la tête d'une chaîne. Alors c'est ce qu'on dit toujours avec Frédéric ou avec quelques autres qui travaillent avec attention et respect, c'est de se dire, évidemment, il faudrait que l'un d'entre nous prenne la direction d'une chaîne. Mais bon, on a pas envie. Je préfère faire des films que de travailler à la direction d'une chaîne. Faudrait vraiment que j'ai un gros accident et que je sois handicapé pour travailler derrière un bureau. Et puis en plus, les chaînes, il y a des tas de problèmes avec les syndicats. Il y a une telle gestion bizarre de la main d'oeuvre.

Moi je trouve que quand les syndicats se sont battus comme des dingues pour sauvegarder des équipes de 3 personnes pour les tournages, lorsqu'il y a eu l'invention de la bétacam, qui était une machine qui permettait de faire le son et l'image en même temps, alors qu'on n'avait plus besoin de 3 personnes. Deux personnes suffisaient, et même parfois une. Moi, je leur disais mais battez vous plutôt pour autre chose. On garde le même nombre de personnel. On réduit les équipes par deux et on leur donne deux fois plus de temps. Parce que cette valeur temps elle est indispensable quand on fait des témoignages. Ce sont des hommes. On ne peut pas approcher quelqu'un, essayer de recueillir la vérité en 5 minutes.

Majid - Et techniquement, comment cela se passe ? J'ai énormément aimé réaliser l'interview de Qassim Azimi pour ZaléaTV et souhaite poursuivre.

Photo : Majid.
Christophe De Ponfilly - Maintenant, on est en DV. "Massoud l'Afghan" je l'ai fait en DV. Les optiques sont moins bonnes. Mais quand même, quand l'image est bien utilisée, en DV, c'est aussi bon que la béta. C'est moins confortable en ce moment, sauf que c'est tellement léger que ça a des avantages énormes. La béta, on s'est tous abîmés le dos en tournant en béta. Pour faire le film "Poussière de guerre" - c'est un des films qu'on aime le plus avec Frédéric - j'avais tourné pendant trois mois dans tout le nord est de l'Afghanistan. J'avais une betcam sur le dos. Et bien je l'ai sentie !

Majid - Ce qui m'intéresse beaucoup, dans "Poussière de guerre", c'est le fait d'avoir filmé des deux côtés, afghan et russe. C'est plus objectif.

Christophe De Ponfilly - Bien sûr.

Majid - Les soldats russes qui allaient au charbon... Et on sait que les russes ont fait des horreurs. Lorsque je me suis rendu à l'ambassade d'Afghanistan en automne 2001, Pascal Avot de "Liberté Afghanistan" m'avait dit de lire M.Barry, effectivement, où on apprend que c'est les russes qui ont fait des actes de barbarie.

Christophe De Ponfilly - Les afghans aussi. Vous avez quand même des zones où les afghans ont joué au bozkachi avec des prisonniers soviétiques ! C'était pendant la période soviétique. Il y a eu des trucs dément, en fait. On avait traité cela : la façon dont les horreurs attribuées à l'ennemi finissent par être amplifiées et à devenir quelque chose d'incroyable.

Dans le film, il y a un moment incroyable. Il y a d'une part des afghans qui racontent comment les russes crucifiaient les bébés sur les portes, mettaient le feu aux berceaux... et puis d'un autre côté on a les russes qui, un moment dans un musée d'un héros soit disant de l'armée soviétique, ils ont fait une grande fresque des forces du bien qui combattent les forces du mal. Donc l'afghan est devenu "les forces du mal".

Et nous on a fait un truc incroyable. On a passé pendant toute cette semaine de diffusion sur la chaîne Histoire, le carnet de route filmé d'un voyage que nous avions fait à Minsk, en 1992, pour montrer justement "Poussière de guerre" aux russes. On a donc fait une série de projections. Et c'était hallucinant. La première projection, il y avait des femmes qui avaient perdu soit leur mari, soit leur fils en Afghanistan et puis les anciens d'Afghanistan. Et les gens pleuraient dans la salle en voyant le film. Quand l'armée est arrivée, on s'est dit comment ils vont réagir. Est-ce qu'ils vont nous insulter, nous traiter de salops, parce qu'on donnait aussi une part de parole aux afghans bien sûr.

Majid - Il y avait un général qui avait réagi.

Christophe De Ponfilly - C'était après, pendant une autre projection. Et là les gens nous ont stupéfaits. La femme qui vient nous embrasser, la première qui passe pour nous dire : "on vous remercie. Vous nous avez montré des vérités qu'on nous avait toujours cachées. On nous avait dit que l'Afghanistan était un pays noir, avec des monstres et des bandits". Et lorsqu'on voit ces paysages magnifiques, ces visages lumineux, on nous dit "mais qu'est ce qu'on nous a menti".

Majid - Par rapport à ce problème d'avoir l'information juste et puis cette amplification de ce qui se passe, quand j'ai vu récemment Monsieur De Beaurecueil au couvent des dominicains, j'ai lu son livre "Mes enfants de Kaboul" où justement il y a un passage, où il allait sur la tombe du maître soufi dont il faisait l'étude. Et des afghans l'ont vu et ont rapporté des ragots, mais amplifiés d'une façon extraordinaire. Ils ont inventé toute une histoire autour de ça, pour faire sa légende. Et après cela se retrouve dans l'historique de ces gens qui s'impliquent. Et justement, par rapport à cela, comment un journaliste peut avoir l'information vraie. J'imagine que pour Massoud cela doit être très amplifié ?

Christophe De Ponfilly - C'est toujours la difficulté. Massoud, il y avait des légendes. On disait qu'il volait au-dessus des rochers... Mais par contre il y a le contre exemple. Il y a aussi des journalistes qui m'ont dit qu'ils font des erreurs qui ne sont pas très honnêtes. Et ça c'est très dangereux. Il y a notamment une histoire que je veux faire savoir à chaque fois. J'ai cité même son nom dans le livre sur J.Kessel. Il s'appelle Luc Desbenoit. Il est journaliste à Télérama. Et bien ce type, je ne l'ai jamais rencontré. Mais pour moi, on devrait lui déchirer sa carte de presse. Il est parti faire un reportage sur Kaboul, au moment où j'ai sorti "Vies Clandestines". Et il sort ce reportage. Et dans ce reportage, plutôt que de parler de ce qu'il a vu, il véhicule les propos de quelqu'un qui lui dit (en plus il ne cite pas la personne, mais je crois savoir qui c'est) "pourquoi il y a deux poids deux mesures, on sanctionne les taliban parce qu'il y a du trafic de drogue, alors qu'il y a du trafic de drogue chez Massoud, que Massoud vend de la drogue et tout". Alors là, les bras m'en tombent, quand je vois ça ! On a été nombreux à voyager dans les zones de Massoud. On n'a jamais vu de culture de pavot. Non seulement on n'a jamais vu de culture de pavot, mais Massoud était totalement opposé. Il était même opposé à la cigarette ! Il ne voulait pas que ses hommes fument. Donc, j'envoie une lettre à Luc Debesnoit...

Majid - Ca a été publié dans Télérama ?

Christophe De Ponfilly - Ah oui. Non seulement ça a été publié, mais ça a fait partie de la documentation que la plupart des types qui sont pas spécialistes utilisent. Alors ça, rendez le vraiment publique. Donc, je lui ai envoyé une lettre le 17 avril 2001, en lui disant "mais vous dites des choses graves. Donc moi, ça m'intéresse vraiment d'avoir les preuves qui vous permettent d'affirmer que Massoud ait été un trafiquant de drogue. Donc envoyez moi les preuves". Il ne m'a jamais répondu ! Je l'avais relancé une fois... Mais ça, c'était dégueulasse. C'était lamentable. Alors cette documentation, donc certainement, fait partie des documentations que les journalistes emmenaient.

Majid - Ce qui est bien, lorsque l'on s'intéresse aux relations internationales, à la politique, c'est de se rendre compte, que ce n'est pas si simple. On voit une information publiée dans un journal qui n'est pas juste. Il y a des critiques. Et au départ on peut s'imaginer que le journal diffuse de mauvaises informations. Alors qu'en fait c'est plus compliqué que ça.

Christophe De Ponfilly - Oui, c'est plus compliqué que ça.

Majid - Le journaliste peut être mauvais, ou se tromper. C'est jamais globalement : le journal est mauvais. Et c'est ça qu'il faut que j'arrive à dire aux gens, sur le site en hommage à Massoud : c'est pas parce que l'on critique une fois Télérama que globalement Télérama dit du faux.

Christophe De Ponfilly - Bien sûr, on trouve de très bons papiers.

Majid - Justement par rapport à ça, la dominante d'un journal, vous arrivez à la sentir ? Le Monde vous arrivez à sentir si c'est pro-démocratique, ou pro-marché... ?

Christophe De Ponfilly - Il y a Françoise Chipot du Monde, elle est anti-Massoud à mort. Donc elle a toujours détesté les gens du nord. Elle est très proche des milieux pakistanais. Elle a des amis pakistanais. Et elle a toujours une épure des évènements d'Afghanistan très pro-pakistanais et très anti-Massoud. Et c'est très très net. Elle a toujours été extrêmement injuste, dégueulasse même parfois dans Le Monde. C'est scandaleux ce qu'elle a écrit.

Il y a aussi des gens qui sont à Inter. Il y a Bromberger qui a une chronique sur France inter. Je trouve cela extrêmement choquant. Le matin de la prise de Kaboul par les hommes de Massoud, il se permet de faire un édito extrêmement rétif sur les gens de l'alliance du nord : "entre 92 et 96, ont commis des atrocités à Kaboul, et faisaient notamment subir un supplice qui s'appelait la danse des morts (couper la tête de leurs prisonniers et ils mettaient de l'essence, les corps traînaient dans le vide...)". J'étais effaré qu'il dise ça. Ca générait une sorte de terreur sur tous les gens du nord, les hommes de Massoud... C'était devenu hallucinant. Mais il est fou ce type ! J'étais extrêmement choqué.

Il y a autre chose qui m'horrifie. En fait, il y a une chose très étrange aujourd'hui qui est la maladie du sondage, et très souvent, on n'arrête pas de faire des sondages sur tout. Je ne sais pas si vous avez été sondé. J'ai été sondé sur la sécurité. J'ai pas pu répondre au tiers des questions. Mes réponses ne cadraient pas dans les réponses type - le choix de réponse proposé.

Les chiffres, c'est hallucinant. Vous avez des tas d'éditorialistes qui savent toujours tout, sauf qu'ils ne sont pas assez sur le terrain, la réalité. Comme font les gens des services de renseignement américain : leur politique est la gestion de la planète comme sur un échiquier. Et ils ne vont pas voir ce que les individus peuvent ressentir.

Majid - On sent beaucoup ce côté "échiquier" dans le passage de M.Barry dans "Vies Clandestines". C'est complexe, vraiment des stratégies compliquées...

Photo : Majid.
Christophe De Ponfilly - Ah oui oui. Installer des extrémistes pour contrer les soviétiques, c'est vraiment à courte vue. Mais, finalement, à vue, les Etats-Unis ont crée une nette confusion qui permet d'intervenir et de s'implanter. Donc finalement le résultat est assez positif, s'ils regardent objectivement. Les dégâts sont considérables autour.

Majid - Quand on voit l'Iran, le Liban... Je ne sais pas comment vous arrivez à vous y retrouver ?

Christophe De Ponfilly - Je ne m'y retrouve pas plus que tout le monde. Et puis en plus il y a des plans qu'on ne connaît pas. Moi j'ai jamais compris comment Ben Laden et le Mollah Omar, on n'aurait pas mis la main dessus ! Pourquoi Gulbuldin Hekmatyar est encore en vie, alors qu'ils l'ont soutenu pendant tant d'années ; pendant 12 ans ils ont soutenu ces types ! Et maintenant, ils lancent la guerre sainte contre eux dans le sud de l'Afghanistan ! Mais qu'est ce que c'est que cette pantalonnade ! On n'arrive pas à le localiser. Moi, je n'arrive pas à y croire.

Pour revenir aux chiffres, on nous donnait sans arrêt, l'état de la société afghane. Alors il y avait des spécialistes de la dernière heure qui nous disaient "la société afghane est composée de multiples ethnies. l'ethnie pachtoune représente 32/100..." Mais qu'est ce qu'ils en savaient, puisque le dernier recensement qui avait été fait en Afghanistan remontait à 1968 ! Vous imaginez. C'est totalement débile. On n'en sait rien. La composition de la société afghane depuis 22 ans en arrière, on en sait rien. Il faudrait faire un recensement maintenant. Donc toujours faire semblant : "on est ceux qui savent ! Voilà, on sait, on sait". Plutôt que de véhiculer des doutes, des questions ! Moi je préfère qu'on pose des tas de questions, plutôt qu'on amène toujours des réponses qui sont parfois des réponses fausses.

Et puis autre point : quand on aborde les drames, on les aborde par les mathématiques maintenant. On compte le nombre de morts. Donc Israel-Palestine par exemple, c'est très net. On vous donne un compte, mais on ne vous explique pas trop l'individu. Et là, avec mon ami et associé Frédéric Laffont, pendant deux ans, on a fait un film qui va sortir au cinéma (c'est fini, là dans 15 jours), sur justement l'histoire d'une amitié entre deux personnes israélo-palestiniennes qui sont une sorte d'espoir, d'intelligence à construire. Et ça, ça passe pas ! C'est pas ce qui passe dans les médias.

Majid - Sur le fait que dans les journaux, il y a des gens qui restent, ou qui partent, qui ont certaines difficultés : est-ce que monsieur T.Garrel est toujours à Arte, et madame C.Lentz à France 2 ; des gens qui vous ont aidé ?

Christophe De Ponfilly - Oui oui, T.Garrel, alors heureusement. Il fait partie des personnes remarquables de la télévision française. Quand vous regardez tous les documents qu'il a financés, vous avez parmi les plus beaux documents sur le monde d'aujourd'hui. Que ce soit dans le monde des affaires, la banque, les services de renseignement, le fonctionnement de la société.

Quant à C.Lentz, c'est vraiment un coup de chance. Elle a fait un passage de quelques mois à France 2. Maintenant, elle est dans le privé, un truc commercial. Mais au moins elle a permis à "Vies Clandestines" d'exister. Bon, elle était détestée par le milieu. Mais moi, j'aimais son côté fonceur. Au moins elle m'a permis de faire ce film. Ca faisait des années et des années que je voulais le faire.

Majid - Globalement, pensez-vous que la France ait joué un rôle positif vis à vis de l'Afghanistan ? Parce que par rapport au soutien armé au Pakistan, c'est plutôt très négatif !

Christophe De Ponfilly - Non au contraire. Je pense qu'il y a des choses à dénoncer fortement. Au point de vue officiel français, il y a eu peu d'aide à l'Afghanistan et aux afghans. Par contre, il y a eu une énorme aide française, mais individuelle. C'est à dire qu'il y a une multitude de français qui sont allés aider les afghans en prenant des risques considérables. Et il y a un capital sympathie des afghans pour les français qui est énorme, mais qui est en train de se ternir parce que du côté officiel, ça ne suit pas.

Mais sinon, au Quai d'Orsay, aux affaires étrangères, il y a tous les gens pro-pakistanais. Parce qu'il y a des affaires très intéressantes avec le Pakistan : des sous-marins vendus, du nucléaire... et il y a un lobby énorme pro-pakistanais. Moi je connais celui qui était directeur de l'alliance française à Peshawar. Quand il est revenu prendre un poste à Paris, il m'a dit "mais je suis arrivé dans un monde apocalyptique, de diplomates qui étaient pro-taliban" ! C'était fou quoi. Le ministre taliban reçu en France officiellement. Massoud par-dessus.

Majid - Ca a fait beaucoup de bruit sur internet. J'ai quelques articles sur le forum du site. Moi ce que je vois souvent, chez les gens qui ne connaissent pas forcément bien les enjeux... j'ai le sentiment que parce qu'il y a le lycée Esteqlâl, la France a un rôle positif.

Christophe De Ponfilly - Sur certains points, elle est très positive. Et je pense qu'on peut même faire mieux. C'est à dire qu'il faut vraiment inciter les industriels français à aller investir en Afghanistan. Il y a un capital sympathie énorme. On trouve dans cette communauté de français et françaises qui sont allés aider les afghans, à travers la FRAC, des tas d'organisations humanitaires. On trouve des gens qui pourraient être des conseillers. Jean-José Puig, dont je parle dans "Vies Clandestines" par exemple, il doit être un conseiller génial pour les industriels français qui veulent investir en Afghanistan. Pourquoi les taxis de Kaboul ce ne seraient pas des Clio ? Pourquoi on ne ferait pas un barrage là-bas ? Il faut prendre le risque. Mais il y a une vraie amitié franco-afghane. Et je ne vois pas pourquoi on laisse passer les américains, qui de toute façon vont se servir !

Majid - Ma question elle était : est-ce que ce n'est pas une sorte de parangon de vertu d'avoir fait en sorte qu'il y ait de l'humanitaire, encouragé par le Quai d'Orsay, pour cacher derrière les ventes d'armes au Pakistan ? Et le lycée Esteqlâl en formant toute l'élite du pays, est-ce que cela n'a pas participé de ce processus ?

Christophe De Ponfilly - Je ne sais pas trop, non. Il y avait des gens à la création du lycée Esteqlal qui avaient une démarche d'échange culturel. Le roi a été à Jeanson de Sailly. Donc, il y avait une sorte de retour, d'amitié.

Majid - Il n'y a pas forcément eu volonté de manipuler l'information, ou de contrôler les élites afghanes ?

Christophe De Ponfilly - Je ne peux pas vous dire. Je n'en sais rien.

Majid - Parce que pour investir, faire un lycée comme cela, c'est forcément l'Etat français qui a fait ça ?

Christophe De Ponfilly - Oui, bien sur. Enfin, elle l'a fait dans beaucoup d'autres pays. Je n'en sais rien.

Majid - Autre question : quels sont vos projets actuels ?

Christophe De Ponfilly - Je pars le 12 juillet en Afghanistan pour 4 semaines. Je n'y étais jamais retourné depuis la mort de Massoud. Je vais donner tous mes films qu'on a traduit en dari - adaptation supervisée par une stagiaire de science-po - à la télévision et à l'Etat afghan. Donc on va faire une cérémonie le 14 juillet à l'ambassade de France à Kaboul. Je fais ça avec l'INA (Institut National d'Audiovisuel) et les affaires étrangères.

Majid - De mon côté, l'ambassadeur d'Afghanistan à Paris, monsieur Z.Haquani, lorsqu’il m’a reçu, il m'a proposé pour mon site en hommage à Massoud, des documents afghans, que l'ambassade traduira. Je vous tiendrai au courant, si vous avez le temps ?

Christophe De Ponfilly - Volontiers, mais on fait tout nous même ici. On est 4. On est producteur, réalisateur, caméraman... Toutes les taches cumulées font qu'on est vraiment très pris. D'ailleurs, on ne connaît pas tellement de monde. Parce que justement, on fait tout et on est pris tout le temps. Et puis j'essaie de voir ma famille. Je voyage pas mal... Là, je pars après demain en Asie.

Pour répondre à votre question précédente, je prépare mon gros projet en Afghanistan. C'est un film de cinéma, que je vais faire en 2004, qui est une histoire que je voulais faire depuis très longtemps.

Majid - C'est une fiction ?

Christophe De Ponfilly - Oui oui, une fiction sur l'histoire vraie d'un jeune russe. Je vous donnerai le synopsis. On est en train de monter la production.

Majid - Vous le faites avec Albert Films ?

Christophe De Ponfilly - En fait, Albert Films est une société qu'on a dû créer. Interscoop, on est une agence de presse, et Albert Films, c'est une société de production de longs métrages. Donc pour faire du cinéma, on a du créer une société. C'est la lourdeur administrative française.

Majid - Et bien, je vous remercie de m'avoir reçu, mais aussi d'avoir mis un lien de votre site Interscoop, vers le mien http://ahmadshahmassoud.free.fr C'est très encourageant.

Christophe De Ponfilly - De rien. c'est normal. Frédéric Laffont termine son film et je pars après demain en Asie. Nous avons donc une réunion et une multitude de choses à faire. Mais on peut se revoir... A bientôt.




 

 

Dernière mise à jour :
02 Novembre 04